Filmographie / Presse

Les poupées russes
TELERAMA - Juin 2005 - AUTEUR : Par Frédéric Strauss

Quatre ans après L'Auberge espagnole, Les Poupées russes : ça tombe sous le sens. D'un film à l'autre, la même adhésion à une Europe « inter-rail », de Barcelone à l'Oural, la même Internationale du flirt, de Piccadilly Circus à Paris. Et après le binz communautaire d'une auberge espagnole, le désordre amoureux des poupées qui se multiplient, à la russe. Un vrai bataillon de jeunes filles autour du même Xavier (Romain Duris). Le voilà écrivain à toutes les sauces, un jour nègre, le lendemain scribouillard pour série télé dévaluée, de toute façon pas installé. Un éternel adolescent qu'on voit ici se démener en tous sens pour ne pas entrer dans l'âge adulte, pour surtout ne pas perdre sa légèreté, fût-elle coupable. Bon programme.

Cédric Klapisch ne change pas non plus. Il retrouve l'élan intact de L'Auberge espagnole, sa meilleure veine, et réussit à faire de ces Poupées russes mieux qu'une suite, au strict sens commercial : une poursuite. A l'image de Xavier, il donne même l'impression de rejeter le professionnalisme pour le plaisir de rester amateur : sa caméra semble ici se balader et improviser au gré de ses humeurs. D'où le côté bordélique charmant de ce film qui suit son héros, qui lui-même suit son cœur, ses pulsions de dragueur et, parfois, cherche simplement un lit pour dormir.

Le voilà qui squatte chez Isabelle (Cécile de France, perle sur le gâteau), une championne de la Bourse qui drague les filles encore mieux que lui. Le voilà aux pieds d'un mannequin de 20 ans dont il doit écrire les mémoires, aux basques d'une vendeuse black, et au téléphone pour répondre à sa mère, qui appelle toujours au mauvais moment. Quand il ne fait pas du baby-sitting pour Martine (Audrey Tautou, pour une fois très cool), il scénarise avec la petite Anglaise Wendy (Kelly Reilly, aucune faute de casting, décidément), dont le frère a rencontré une poupée russe nommée Natacha... Trop, ce n'est jamais trop ici, et le principe de la ronde, qui ne cesse de s'élargir, marche à plein tube.

Comme le titre l'indique, il y a donc plusieurs films dans ce film, et beaucoup de comédies en une. La version classique, jouant sur les situations, ne manque pas d'abattage, notamment avec le personnage d'Isabelle. La version plus zinzin carbure aux gags inventifs, comme lorsque, derrière Xavier, qui baratine banquiers ou éditeurs, surgit le double de Xavier, en train de jouer du pipeau... Troisième piste, la folie poétique quand, après une nuit d'amour chevaleresque, Xavier retrouve sur le trottoir son scooter transformé en cheval héroïque. Cela nous mène, jamais droit, à la comédie sentimentale, effleurant, avec Martine, la mélancolie du temps qui passe sans qu'on trouve la raison ou la passion. A chaque fois, Klapisch croque la jeunesse, fait tinter l'ironie de la vie, qui est toujours à la fois perdue et retrouvée, désorientée et orientée. Comme le film.

Bien entouré, le héros des Poupées russes n'en est évidemment que plus solitaire. Malgré son humour et sa dérision, il est émouvant par-dessus tout. Sans doute parce que Romain Duris donne un sentiment de sincérité jusque dans son apparente nonchalance. Mais aussi parce que la complicité du comédien avec Klapisch permet à chacun de livrer une vérité sans avoir à dire « je », à l'instar du fameux tandem François Truffaut-Jean-Pierre Léaud. On y pense, mais pour une raison inattendue. L'histoire de ce jeune homme qui aime les jeunes femmes a, en effet, une gravité diffuse et frôle le malheur de l'amour, si fort chez Truffaut.

Cette piste est levée par Xavier lui-même, quand il explique que, telles des Poupées russes, les filles sont pour lui les enveloppes successives d'une autre fille, la poupée qui n'en cacherait plus une autre et qu'on garderait toujours, mais qui reste à jamais à venir, introuvable. Au cœur de l'apprentissage sentimental très juvénile qu'il met en scène, Klapisch cache donc la malédiction du séducteur, le destin de collectionneur d'un don Juan new-look. Wendy et les autres sont-elles mal tombées en tombant pour Xavier ? Le doute est permis, le trouble aussi. C'est le plus beau.

STUDIO - Hors série 2005 - AUTEUR : Patrick Fabre

La promo klapisch : Le réalisateur des Poupées russes” commente une photo d'équipe prise le soir de l'avant-première du film. L'occasion d'évoquer ses acteurs et quelques bons souvenirs.

Romain Duris

«Je me souviens qu'on a été obligés de reculer le tournage des Poupées russes d'une semaine, parce qu'il finissait De battre mon cœur s'est arrêté. Pourtant, Romain est rentré aussitôt dans le rôle de Xavier. Il a retrouvé son côté comique, sa légèreté et laissé de côté les aspects torturés du personnage du film de Jacques Audiard (que j'ai vu et qui a été un choc pour moi, parce que je croyais bien connaître Romain et qu'il m'a bluffé). C'était assez impressionnant. Je me souviens aussi de son état de grâce dans la scène de la rue aux dimensions parfaites, à Saint-Pétersbourg, et où il danse. Il était habité… De toute façon, Romain, il est habité !»

Kelly Reilly

«Comme pour Romain, c'est son année ! C'est la classe, quoi ! On va bientôt la voir dans Libertines et Madame Henderson présente, les deux films qu'elle a tournés après Les poupées russes. Je ne sais pas quoi dire sur elle, parce que j'ai tellement entendu dire que les gens tombaient amoureux d'elle en la voyant dans le film… C'est ce que j'ai réentendu aux États-Unis, où je viens de présenter le film. L'effet qu'elle produit, je ne l'ai pas vu au tournage. Kelly a développé cette magie à l'intérieur de Wendy, ce «personnage ordinaire», comme elle dit. Ce que Wendy vend à Xavier, c'est sa banalité, et c'est magnifique d'avoir réussi ça. Ce qui est formidable, c'est qu'elle plaît autant aux filles qu'aux garçons. Mais le plus génial, c'est ce que Kelly m'a confié le soir de cette projection : “J'adorerais être comme Wendy.”»

Cécile de France

«La première fois qu'elle a vu Les poupées russes, elle a été un peu déçue, parce que beaucoup de ses scènes avaient été coupées – pas à cause d'elle, on peut l'imaginer ! Pourtant, ce soir-là, elle a vu que le peu qui restait d'elle était marquant. À la projection, les gens ont réagi énormément à ses scènes. Il faut dire que c'est une actrice géniale. Comme Julia Roberts, elle possède à la fois la beauté et la fibre comique.»

Barnaby Metschurat, Christian Paghet, Federico D'Anna

«Ils sont très amis, et ça se voit sur la photo. Quand on les a rappelés, trois ans après L'auberge espagnole, pour leur demander de venir à Saint-Pétersbourg, c'étaient des acteurs que l'on appelait, mais aussi des potes. Ce qu'ils font dans Les poupées russes n'est pas important, mais je tenais à ce qu'ils soient là. Barnaby, l'Allemand, était content parce qu'il avait à dire le texte du toast, qui lui permettait de revenir sur le fait que William l'avait traité de nazi dans L'auberge espagnole. C'était une façon de lui rendre la monnaie de sa pièce. Christian, le Danois, a vécu ce nouveau tournage comme une parenthèse très agréable, parce qu'il n'est pas acteur, mais réalisateur de documentaires. C'était aussi le cas pour Federico, l'Italien – que j'appelle souvent Alessandro, comme son personnage. Même si ce n'était qu'une petite participation, je crois que c'était fort pour lui.»

Audrey Tautou

«Audrey a l'habitude des tapis rouges ! Je crois qu'elle a vu Les poupées russes pour la première fois ce soir-là. Elle avait eu l'occasion de le découvrir avant, mais elle a préféré le garder pour la bonne bouche. Elle m'a dit : “Je sais que je vais aimer.” Après la projection, je me suis retrouvé dans une voiture avec elle, pour aller à la fête du film, et elle m'a dit : “J'ai tellement aimé que je ne peux rien te dire !” Son émotion l'empêchait de parler.»

Lucy Gordon

«Je l'ai revue, pour la première fois depuis le tournage, cinq minutes avant de prendre cette photo. Je crois que c'est elle qui a le plus ri en voyant le film ! Lucy n'avait jamais joué dans un film. Quelqu'un me l'a recommandée, alors qu'elle était mannequin et vivait à New York, où elle prenait des cours d'art dramatique. Elle était idéale pour jouer Celia Shelton, un rôle qui demandait davantage que de la beauté et du charme. Il fallait aussi qu'elle soit énervante, mais à un degré supportable.»

Irene Montala

«Irene, c'est l'Espagne d'aujourd'hui. J'ai l'impression que c'est une amie autant qu'une bonne actrice, notamment parce qu'on va en vacances au même endroit… Depuis L'auberge espagnole, comme bon nombre d'acteurs, elle a beaucoup changé. La  jeune fille est devenue une jeune femme. Comme pour Kelly Reilly, il y a un phénomène d'éclosion. Il fallait avoir des «couilles» pour accepter de jouer ce petit rôle dans le film (où, notamment, elle court nue en pleine nuit dans les rues de Paris). Et je crois que la scène est marquante parce que justement elle a osé la jouer. Elle en était très fière.»

Kevin Bishop

«Le soir de l'avant-première, j'étais dans la même voiture que Kevin et on a remonté les Champs-Élysées. Il y avait, le long de l'avenue, les affiches des Poupées russes avec chacun des personnages. Il était dans un tel état de plaisir qu'il hurlait ! Pour moi,  il est de la classe de Robin Williams, Peter Sellers ou Mike Myers. Je ne sais pas s'il aura leur carrière, mais il en a, je crois, la capacité. Il est de ces gens dont on ne sait pas s'ils sont fous ou talentueux. Il a une inventivité de jeu phénoménale, et pour un réalisateur c'est un cadeau : on appuie sur «play», on laisse la caméra tourner et il se passe des choses. Tout le monde est obligé de le suivre. C'est un feu d'artifice.»

Evguenya Obraztsova

«Pour le personnage de Natacha, je ne savais pas si je devais prendre une actrice qui sache danser ou une danseuse qui sache jouer. J'ai opté pour la deuxième solution, et j'ai bien fait. Pourtant, je me souviens que pour sa première scène, quand William la retrouve à Saint-Pétersbourg, Evguenya n'arrivait pas à jouer ; elle était toute rouge. Parce que sur scène, cette grande danseuse est habituée au jeu, mais sans parole. Mais en une journée, ça s'est fait. Et c'est délirant de voir à quel point elle est devenue actrice. C'est magique de voir quelqu'un éclore devant la caméra.»

Gary Love

«Il porte bien son nom ! Plus que le film, les scènes coupées qui figurent sur le DVD, permettent de voir à quel point il est génial. Le genre d'acteur qu'on trouve en Angleterre, pas en France. Il a eu une façon classe de rentrer dans Edward, ce mec dépravé. C'est un truc vraiment anglais : ils ont la manière pour faire ressortir la classe des personnages les plus trash.»

Cédric Klapisch

«Cette photo d'équipe a été prise la veille de la sortie des Poupées russes. C'était important pour moi que l'on soit réuni, parce que c'était une vraie aventure collective, dont la portée symbolique concernant l'Europe est devenue incroyable. J'ai même lu, récemment, un article dont le titre était : “De Klapisch au référendum !” Mais même s'il y avait beaucoup de joie lors de cette soirée d'avant-première, il y avait aussi une tension, qui se lit sur mon visage. C'est un moment bizarre pour un réalisateur, parce qu'on lâche le film. Le moment de la sortie a été plutôt un soulagement. Doublé d'une grande surprise, puisqu'on a fait plus d'entrées que Batman Begins, qui sortait le même jour. C'était assez joyeux de voir qu'il y avait une place pour ce film-là, que je considère comme plus audacieux que L'auberge espagnole. Et je n'étais pas sûr qu'il s'adresse à 3 millions de spectateurs. Depuis, j'ai montré Les poupées russes au Japon, à Saint-Pétersbourg, à Londres (où le film n'a toujours pas de distributeur !), ou à Los Angeles. Et j'ai eu la même surprise qu'avec L'auberge espagnole. Notamment au Japon et aux États-Unis, où je pensais que ce serait un problème que le film soit tourné vers l'Europe. Au contraire, c'est ce qui les intéresse, parce que ce sont les premiers films à leur parler de cette Europe émergente. À Hollywood, Paul Thomas Anderson [réalisateur de Magnolia et grand fan de Klapisch] est venu voir Les poupées russes et m'a dit que c'est, de mes films, celui qu'il préfère. Moi, je crois que c'est toujours Le péril jeune… et j'aimerais bien faire mieux ! (Rires.) Aujourd'hui que l'intégrale de mes films sort en DVD, je mesure le chemin parcouru et celui qu'il me reste à parcourir. Ça pourrait me faire flipper, mais je trouve ça sympa, parce que, pour moi, il est essentiel qu'il se passe quelque chose dans mon cinéma.»

propos recueillis par Patrick Fabre

STUDIO - n°209 - AUTEUR : Patrick Fabre

Quand et comment est née l'idée de donner une suite à L'auberge espagnole ?

Cédric Klapisch. Le premier à en avoir parlé, c'est Stéphane Célérié, le distributeur de Mars Films. Le jour où il a vu L'auberge espagnole, soit trois mois avant la sortie, il m'a dit : «Il faut faire une suite !» Je n'arrêtais pas de lui dire non, et il me rétorquait : «J'ai envie de retrouver ces gens-là !» Cette phrase m'a longtemps trotté dans la tête, et, quand finalement j'ai cherché quel film faire après Ni pour, ni contre, j'ai éprouvé moi aussi l'envie de retrouver encore une fois ces acteurs, puis ces personnages. Je me suis dit : «Partons de ça.» C'est donc ce désir de retrouvailles qui est à l'origine des Poupées russes. Et aussi mon envie d'arrêter de changer de direction d'un film à l'autre !

C'est vrai qu'après Ni pour, ni contre, vous disiez avoir besoin de faire une pause, de réfléchir à votre cinéma...

C.K. Oui. Je suis un peu schizophrène dans mes choix de films. J'ai toujours voulu essayer des trucs différents pour ne pas m'ennuyer dans un genre... Là, j'avais l'impression d'être allé trop loin : les styles de L'auberge espagnole et de Ni pour, ni contre sont tellement opposés. Ces tournages avaient été super agréables à vivre en tant que réalisateur, comme un apprentissage. Seulement, aujourd'hui, je suis arrivé à un âge où j'ai moins besoin d'apprendre, mais plus d'approfondir. Je n'ai plus peur de faire des choses que j'ai déjà réalisées. Ça ne veut pas dire «refaire» ; ça signifie «aller plus loin», pour essayer de savoir qui je suis, pour être en phase avec ma personnalité, avec mon style. À partir du moment où j'ai décidé de tourner Les poupées russes, mon maître mot a été «approfondir». D'autant que dans L'auberge espagnole, qui est un film frais et léger, je n'aimais pas tout.

Et qu'est-ce que vous aimiez bien ?

C.K. Le ton, le fait d'avoir stylisé des choses «réalistes». L'auberge espagnole est filmé comme un reportage. En revanche, le montage, l'utilisation de la voix off de Xavier, le jeu avec la musique… toute une série d'éléments m'ont aidé à lui donner un ton. C'était intéressant, mais je pense que je n'ai pas poussé l'idée jusqu'au bout, parce que j'ai écrit et réalisé le film très vite. Du coup, en faisant Les poupées russes, j'avais l'occasion de reprendre ce même ton –- la vision un peu décalée de Xavier…- et de conserver le même principe de tournage, afin de rester proche de la réalité. Mais, quand on a lancé la production, j'ai dit à tout le monde, aux acteurs comme aux techniciens, que je voulais approfondir ce qu'on avait déjà fait précédemment. Et le résultat est effectivement, je crois, plus profond, moins léger et plus maîtrisé. Contrairement à L'auberge espagnole, qui était un film brouillon racontant l'histoire d'un mec brouillon essayant d'écrire de façon brouillonne son premier roman !

Le mec en question, c'est Xavier, joué par Romain Duris. Les poupées russes, votre huitième long métrage, est quand même le cinquième film que vous tournez ensemble depuis Le péril jeune !

C.K. La raison pour laquelle j'ai tourné Les poupées russes, c'est évidemment ce plaisir profond de retravailler avec une équipe. Et pas seulement Romain ou les autres comédiens, mais aussi les techniciens.

Vous avez dit avoir regardé, avec Duris, les films de François Truffaut dont Antoine Doinel est le héros, avant de vous lancer dans Les poupées russes...

C.K. C'est vrai. Souvent, on me disait : «Romain Duris, c'est votre Doinel ou votre Jean-Pierre Léaud.» Cela avait l'air d'être clair pour les autres. Mais pas pour moi. Alors, je me suis dit : «Si jamais j'invente une suite à L'auberge espagnole, on sera obligé d'y faire référence.» J'ai donc souhaité qu'elle soit consciente plutôt que subie. Du coup, j'ai revu toute la série des Doinel avec Romain. Pour qu'il voie aussi ce que c'est d'avoir son corps qui vieillit d'une fois sur l'autre. Choisir de réaliser une suite comme celle-là, ce n'est pas juste choisir de faire un film. Je suis sensible au temps qui passe. C'est un sujet qui, en fin de compte, est présent dans tous mes films.

Autour de Romain Duris, on retrouve notamment Audrey Tautou et Cécile de France. Ces trois jeunes acteurs très en vue dans la suite de L'auberge espagnole, ça doit inciter les décideurs à sortir leur carnet de chèque...

C.K. Ça, c'est sûr ! Je me rappelle avoir écrit le scénario de L'auberge… en quinze jours et qu'on avait trouvé l'argent en un mois. Les financiers avaient dû faire une sorte de parallèle avec Chacun cherche son chat, en se disant : «Quand il fait un film vite et pas cher, ça peut valoir le coup !» Avec Les poupées russes, ils ont dû penser : «Allons-y, puisque c'est la suite et que c'est fait dans la même logique.» Cela dit, ça a coûté presque deux fois plus cher.

Ah quand même !

C.K. Oui. C'est le syndrôme du numéro deux qui fait que l'on ne peut pas payer les acteurs ou les techniciens au même tarif, et c'est normal. Dès le départ, le coût du film était plus élevé. Cela dit, le tournage a duré plus longtemps, les voyages ont été plus nombreux…

Comment définiriez-vous Les poupées russes ? Est-ce une chronique des amours d'un trentenaire ?

C.K. C'est plus qu'une chronique, parce qu'il y a un véritable cheminement que je continue à chercher. Comme pour L'auberge espagnole, j'ai écrit le scénario rapidement et j'ai beaucoup tourné ; donc, de fait, Les poupées russes s'écrit encore au montage. Et je réalise à quel point, comme le premier, c'est un film sur l'écriture. Xavier écrivant sa propre histoire, il y a un rapport étroit entre sa vie d'écrivain et sa vie amoureuse : en même temps qu'il cherche un sujet de roman, il cherche la femme de sa vie. Pour un auteur, trouver une histoire et tomber amoureux, c'est à peu près la même chose. Les poupées russes parle beaucoup de ça, du fait qu'une histoire d'amour, c'est avant tout une histoire.

Comment avez-vous trouvé le scénario de cette suite ? En tombant amoureux ?

C.K. Eh bien… oui ! Je pense que c'est lié à ça. Du coup, le film traite aussi du fait que l'on peut tomber amoureux plusieurs fois. La femme ou l'homme d'une seule vie, c'est un concept propre aux contes pour enfants, comme de dire «un jour mon Prince viendra» ! La vie moderne fait que l'on s'éprend d'une personne à 15 ans, puis d'une autre à 20 ans et qu'à 30 ans, on aime encore quelqu'un d'autre. Cela me paraissait important de montrer comment on peut parler d'amour en étant sincère à chaque fois. Moi, j'ai aimé trois femmes, et j'ai été très amoureux les trois fois.

Autour de Xavier, on ne retrouvera véritablement que quatre personnages de L'auberge espagnole, même si tous sont réunis à Saint-Pétersbourg. Avez-vous essayé de tous les recaser ?

C.K. Au contraire, je me suis délibérement limité à Xavier, Martine [Audrey Tautou], Isabelle [Cécile de France], Wendy [Kelly Reilly] et William [Kevin Bishop], parce que je savais que je ne pourrais pas développer des histoires pour tous. Sur le plan narratif, c'était déjà assez compliqué ! Mon seul regret, c'est le rôle de Judith Godrèche, mais il était impossible de la faire revenir. Et puis, c'est surtout l'actrice qui me manque : j'aurais adoré retravailler avec elle.

Comment se sont passés les retrouvailles avec Romain, Audrey, Cécile et le reste de la bande ?

C.K. Ça a été une immense joie de les retrouver, et, en plus, de les retrouver meilleurs ! Dès les premières répétitions avec Cécile, Audrey ou Romain, j'ai tout de suite vu qu'on était ailleurs. Tout le plaisir du tournage des Poupées russes a été celui-là : on ne faisait pas simplement une suite, on était à nouveau ensemble pour aller plus loin. C'était très agréable de sentir le bonheur des retrouvailles se mélanger à celui de travailler avec de tels acteurs. Ils étaient tous plus mûrs. Ce sont devenus des Rolls !

Ça a été facile de les convaincre de faire cette suite ?

C.K. Ils ont immédiatement dit oui. J'en étais même effaré ! Je pense qu'ils avaient tous envie non seulement de retravailler avec moi ou de faire la suite, mais aussi de retrouver leur personnage. Pourtant, quand je suis allé voir Cécile, je n'étais pas sûr qu'elle ait envie de rejouer Isabelle, la fille homo. Pareil pour Audrey avec Martine : je ne savais pas si elle avait envie de se saisir une nouvelle fois du rôle. D'autant qu'elle venait de tourner Un long dimanche de fiançailles et qu'elle refusait beaucoup de films parce qu'elle avait besoin de se reposer de ce tournage éprouvant. Or, elle m'a dit que c'était exactement ce dont elle avait envie, que ça tombait parfaitement pour elle !

Ont-ils repris leur personnage facilement ?

C.K. Les premières répétitions étaient amusantes, parce que je leur disais : «Tu te souviens, Isabelle parlait comme ci… Xavier marchait comme ça…» Je les replongeais dans leurs souvenirs de jeu. C'était comme un déclic : ils retrouvaient leurs marques instantanément. C'était à la fois drôle et passionnant de voir comment ils remettaient leurs pas dans leurs empreintes et comment ils faisaient évoluer leurs personnages qui, arrivés à 30 ans, sont assez loin de ce qu'ils étaient à 25 ans, à l'époque de L'auberge espagnole.

Et vous, vous avez facilement retrouvé vos marques ?

C.K. Non. Parce que, même si je ne me le disais pas, j'ai voulu cumuler tout ce que j'avais appris sur L'auberge espagnole et sur Ni pour, ni contre. Sur le premier tournage, j'ai appris qu'il fallait que je me lâche, que j'aille dans le sens du plaisir. Car c'est un très bon moteur, le plaisir. Un film n'est fait que pour répondre à un désir, il ne faut pas chercher autre chose : toutes les contraintes, narratives et autres, qu'on se rajoute doivent être au service de ce plaisir. C'est essentiel. Sur le second, j'ai appris une espèce de rigueur, et l'importance qu'il y avait à construire plan par plan l'unité d'un film, son style. Sur Les poupées russes, j'ai essayé d'avoir la même rigueur que dans Ni pour, ni contre, tout en ayant autant de plaisir que sur L'auberge espagnole.

Ce plaisir n'a-t-il pas été gâché par la pression liée à l'attente de cette suite ?

C.K. Pas du tout, parce que je n'ai pas fait Les poupées russes pour de mauvaises raisons. Je suis parti de l'envie de retrouver Romain, Audrey, Cécile, Kelly, William et les autres. Je savais que c'était le bon chemin, et, du coup, la pression, je m'en foutais. Je l'ai ressentie sur d'autres films, sur Peut-être beaucoup plus que sur d'autres, puisque c'était la première fois qu'on «m'attendait». Mais c'est certainement aussi une affaire de maturité. Au huitième film, je sais mieux comment résoudre certains problèmes...

Si, pour Xavier, les poupées russes représentent l'idéal féminin, qui se découvre de femme en femme, y a-t-il pour vous un film idéal qui se dessine tournage après tournage ?

C.K. Je vais être franc : je suis toujours déçu par ce que je fais. J'espère donc que mon meilleur film sera le dernier ! (Rires.) J'estime que je n'en ai pas encore fait de bons, et, du coup, je cours toujours après un idéal. Aujourd'hui, je ne cherche plus à faire différent, mais mieux.

À partir du moment où il y a une suite à L'auberge espagnole, peut-on espérer qu'il y en ait une aux Poupées russes ?

C.K. Si je disais non pour L'auberge..., cette fois-ci, franchement, j'aimerais bien être capable d'en imaginer une dans cinq ou dix ans. Si le désir s'en fait sentir, je pense que cela vaudrait le coup. D'ailleurs, j'ai déjà trouvé le titre... (Rires.)

Et c'est...

C.K. Le casse-tête chinois !

Interview Patrick Fabre