Filmographie / Presse

Peut-être
CINÉ LIVE 29 - NOVEMBRE 1999 - AUTEUR : Par Bérénice Balta
Cédric Klapisch : Hommage ET désert

Un vilain matin gris et pluvieux de septembre... Dans l’atelier du photographe, tout est fin prêt pour LE cliché de Klapisch : sable, huile, et tutti quanti. Mais avant de se plier avec diligence – et abnégation ! aux desiderata du photographe, Cédric Klapisch se prête d’abord au jeu des questions avec douceur et intelligence malgré, de son propre aveu, un manque crucial de sommeil. Jolie rencontre !

Ciné Live : Peut-être, votre cinquième long métrage, dans une veine de cinéma d'anticipation, est fort différent des précédents. Cela faisait longtemps que vous le mûrissiez ?

Cédric Klapisch : Oui, très longtemps : j’ai commencé le scénario en 1993 ! En fait, j’ai interrompu son écriture pour réaliser Chacun cherche son chat et Un air de famille et, depuis deux ans, je travaille d’arrache-pied pour le finir. C’était aussi une façon de ne pas trop continuer dans une veine réaliste et de faire évoluer un ton nouveau. Mais je m’aperçois que quand on essaye de changer le cinéma, ce n’est pas évident. Là, j’ai décidé d’explorer la tradition du fantastique intégré à la réalité. Tout est normal, puis, tout à coup, il se passe un truc bizarre. C'est en fait une tradition assez française, qui date de Maupassant, Marcel Aymé, Boris Vian, une tradition finalement plus littéraire que cinématographique. Au cinéma, il n’y a guère que René Clair qui soit allé dans ce sens-là.

Peut-on définir Peut-être comme une comédie philosophique mâtinée de science-fiction, mais avec un ton “auteur” ?

Euh... oui, c'est très bien résumé ! (rires). Vous l’avez remarqué, c’est un film assez difficile à qualifier... On ne peut pas dire que ce soit totalement de la SF. Ça parle du futur, oui... En fait, je trouvais intéressant de poser la question : “Que sera l’avenir ?”. On le traite toujours de la même façon, avec des robots, des navettes spatiales, alors que, si on réfléchit deux secondes, on sait bien qu’on n’habitera jamais une soucoupe volante. Du coup, je trouvais ça marrant, on pouvait inventer des choses, n’importe quoi plutôt que de coller aux conventions dites et redites de la SF, puisque le futur, c’est ce qui est impensable, imprévisible.

Il y a aussi un côté “on ne va pas copier les Américains, faisons ce que l’on sait faire”.

Il y a de ça, c'est vrai. De toute façon, on ne peut pas les copier. On ne pourra jamais faire Star Wars ou Titanic, par manque de moyens. Par contre, en France, on a tendance à rester sur ce que mon scénariste appelle “états d’âme sur canapé” : il ne faut pas s’enfermer là-dedans sous prétexte que le canapé est moins cher que la navette spatiale... J’avais envie de faire du grand spectacle, de fabriquer des images impressionnantes tout en restant dans une logique française qui ne soit pas délirante financièrement.

L’ouverture du film, façon "Star Trek", est très kitsch, très stylisée... C'est un peu le futur comme on a pu l’imaginer dans les années 70, voire avant...

C’est pour jouer sur le fait que l’an 2000 a été une boîte à fantasmes pour tout le monde. Dès qu’on voulait donner une idée de modernité on ajoutait “2000”, comme un suffixe. “Coiffure 2000”, par exemple. Et maintenant qu’on y arrive, à l'an 2000, il y a un côté ringard à tout cela. On voit bien à quel point aujourd’hui n’est pas aussi moderne que ce que j’imaginais quand j’avais dix ans. C’est pour se moquer un peu de ce rêve qu’on a eu depuis, disons, les années 50. Quant à "Star Trek" qui date de ces années-là, aujourd’hui il renvoie plus à une idée de vieux qu’à une idée d’avenir ! C’est pourquoi on a essayé de TOUT mettre dans cette séquence : les pilules pour se nourrir, la téléportation, tous ces machins devenus des conventions issues de fantasmes.

Et, aujourd’hui, l’an 2000, pour vous, c’est quoi ?

En tournant Le péril jeune, je m’étais posé la question : “Qu’est-ce qui s’est passé vingt ans plus tôt ?”. Je m’étais évidemment aperçu que certaines choses avaient changé : la forme des pantalons, la musique... Mais, surtout, j'avais réalisé que beaucoup de choses n’avaient PAS changé. Je dis donc un peu la même chose sur le futur dans Peut-être : les choses vont changer... et ne vont pas changer. Il y a cinq ans, il y avait peu de téléphones portables, maintenant il y en a partout, mais toutes ces inventions, au final, ne transforment pas beaucoup le quotidien intérieur. D’ailleurs, j’ai l’impression que les grandes inventions sont déjà derrière nous. On ne fait que les perfectionner, on ne réinvente pas des choses extraordinaires. L’idée de progrès est déjà une vieille idée. Le film dresse un peu le bilan : “Regardez autour de vous, la boulangerie au coin de la rue, c’est la même que quand vous étiez petit, l’école aussi.”. Le passé est toujours là ! Alors que la science-fiction l’évacue toujours, on ne montre jamais les vieux monuments ! Et, pourtant, il y a du vieux et il y aura toujours du vieux, même dans le futur !

Petit, vous rêviez d’aller sur la Lune, sur Mars ?

J’ai dû en rêver, oui, comme tout le monde. Je me rappelle avoir vu à la télévision, très tard le soir, l’arrivée des hommes sur la Lune. C’était un moment incroyable, on le vivait en direct ! Et ce qui est drôle, c’est qu’on n’a pas été au-delà de ça, finalement. On ne va plus sur la Lune, vaguement sur Mars, mais il ne s’y passe pas grand chose. Oui, il y a des rêves brisés ! (sourire)

L’Afrique est très présente dans votre film, pourquoi ?

A partir du moment où j’avais choisi de mettre du sable dans Paris, il y avait le côté désert qui arrivait, et donc, l’Afrique. C’est aussi lié au fait que l’un des désirs esthétiques du film vient des voyages effectués quand j’étais jeune, au Maroc, en Tunisie, au Yemen aussi. Ce sont des pays qui m’ont marqué car j’y ai vu les plus belles choses, aussi bien dans les déserts que dans les villes. Le désert m’impressionne énormément ! Et c’est venu après Riens du tout, qui se passait dans un grand magasin, avec beaucoup de monde, très chargé, et, pour le coup, j'ai vraiment eu envie de “rien”. C’est également un constat sur aujourd’hui... Paris est africain ! Beaucoup de gens le déplorent, pas moi. Je trouve ça formidable, cette arrivée de l’Afrique, qu'elle soit noire ou du Nord... et de la Chine, aussi. Ça transforme notre capitale dans le bon sens. J’aime le mélange et le côté cosmopolite du Paris actuel. Ce n’est pas une chose qui va arriver, elle est déjà là !

Il y a un clin d’œil dans le film, avec l’affiche de Pierrot le fou accrochée au mur de la chambre de Romain Duris...

C’est un clin d’œil un peu chargé, une façon de dire que, pour moi, il y a une différence entre Godard et la Nouvelle vague. Bien sûr, quand on choisit Belmondo, il y a forcément Godard. Mais en même temps que Godard, il y a L’homme de Rio, Le doulos, Un singe en hiver... Plein de films qui, souvent, ont été massacrés par la Nouvelle vague. Et moi, je n’aime pas les étiquettes, le côté intégriste : “Ceux-là sont bien, ceux-là, non”. Belmondo, lui, ne s’est pas laissé enfermer, il a fait des films d’auteur, des commerciaux et d’autres que l’on ne peut classer ni dans un camp ni dans l’autre. Pierrot le fou et A bout de souffle sont importants : ils ont changé le regard. C’est une des choses que j’ai essayé de faire, je ne sais pas si j’y suis parvenu mais j’aimerais bien arriver à cette espèce de bizarrerie qui créé ce que Baudelaire appelait “un frisson nouveau”.

Belmondo, c’était une évidence ?

Mmmoui... En fait, j’avais pensé à d’autres comédiens, mais il y a eu tellement d’évolutions dans le scénario que, arrivé à la dernière version et à ce personnage, c’était devenu une évidence. Il en a toutes les caractéristiques, et des êtres qui peuvent avoir sa puissance physique, son côté comique, enfantin et fragile, et qui ont son âge, il n’y en a pas beaucoup !

Duris et Pailhas, des choix voulus aussi ?

Tout est voulu ici ! (rires) Romain, je lui ai proposé le film depuis longtemps, et Géraldine aussi. Le plus dur, c’était de fabriquer un couple qui marche et qui, en même temps, garde un certain décalage. Elle est plus mûre que lui. Ce sont des petits-bourgeois, des jeunes Parisiens un peu branchés. Et ils ont tout de suite construit un couple électrique parce qu’ils sont différents.

Vous vous êtes “lâché” dans les costumes !

Le principe du film, c’était de se lâcher, justement ! J’ai toujours eu l’impression d’être assez coincé et je me suis dit : “Avec l’an 2000, c’est l’occasion de décoincer !”. Et je l’ai répété à tout le monde : costumier, maquilleur, coiffeuse, chef opérateur, compositeur... Il valait mieux tenter et rater plutôt que de ne pas essayer... (rires)

Votre film est une ode à l’enfantement...

C’est drôle, quand vous avez dit “enfantement”, j’ai entendu “enchantement”. Ce n’est pas mal de rapprocher ces deux mots, car, quand on enfante, on enchante, on fabrique de l’enfance et du merveilleux. Il y a, ici, l’idée de la filiation, de la généalogie. Pour moi, le message, s’il y en a un, c’est de dire que le futur n’est pas lié au progrès, que le progrès est lié à l’enfance et au fait de procréer. C’est ce qui nous rattache, nous, en tant qu’êtres humains, au futur. Et le film ne dit que ça ! Quand on songe à l’enfantement surgit cette idée métaphysique, un peu surnaturelle, qui correspond à ce que tout le monde peut ressentir en regardant un ciel étoilé : “Ouh la la, comme on est petit !” C’est palpitant et merveilleux d’y penser.

Mais vous y allez franco : “Faites des enfants !”. Alors que le cinéma biaise souvent dès qu’il s’agit de ce sujet. Vous aviez envie de revendiquer ça, en tant qu’homme ?

Je me suis souvent demandé pourquoi je parlais de ça, parce que je suis aussi pour l’avortement... (rires) Il n’y a pas de volonté nataliste dans le film. En tout cas, j’ai compris en le tournant que je n’étais pas ce garçon qui se demande s’il veut être père ou pas. Moi, je suis plutôt du côté du fils qui a envie d’exister. Par rapport à mon histoire personnelle, je crois que j’ai failli ne pas exister, et le film raconte davantage l’histoire de quelqu’un qui veut vivre et qui dit : “Quel bonheur, ça vaut le coup d’être là.”. Il ne dit pas : “Il faut faire des enfants.”. Moi, je suis heureux d’exister et heureux qu’on m’ait fait.

La dédicace “A Mathilde et Pablo”... Est-ce indiscret de demander à qui elle s’adresse ?

A ma copine et à mon fils. (rires)

C’est pour eux, le film ?

Non, il leur est dédié mais ce n’est pas pour eux que je l’ai fait. Je n’avais pas encore de fils quand j’ai commencé à l’écrire. Il a un an et demi, il est né un peu avant le tournage. Je leur dédie car ils ont vécu ce film en même temps que moi et j’avais envie de le partager avec eux.

Vous dans le rôle furtif d'un épicier, c’est un autre clin d’œil ?

C’est plus qu’un clin d’œil puisque j’ai décidé d’apparaître dans tous mes films. J’aime bien ce principe de signer l’œuvre avec soi-même, de la revendiquer. J’ai revu mes premiers courts métrages et je trouve ça drôle de se voir vieillir avec eux. (rires)

Cinq courts métrages, cinq longs et un documentaire... Vous êtes constant et varié !

J’aime bien changer. J’ai toujours davantage apprécié des réalisateurs comme Kubrick, Kurosawa, qui font un nouveau cinéma à chaque film, que des gens qui refont toujours le même film. Ça m’énerve un peu, donc j’essaye d’aller dans cette voie-là.

Aujourd’hui, être cinéaste, ça représente quoi ?

Porter un regard. C’est un peu troublant de voir qu’on a le satellite, cent chaînes, Internet et de plus en plus de “véhicules” audiovisuels, et qu'on n’a finalement pas le temps de tout regarder. Un réalisateur, comme un peintre, passe sa vie à réfléchir : pourquoi il met son pinceau là, pourquoi il cadre comme ça, etc. C’est être un peu comme un miroir sociologique, esthétique, avec ses valeurs et sa philosophie. J’aime bien le titre de Desplechin, La sentinelle, parce qu'il y a la notion de regarder ce qui arrive de loin. Et, nous, nous essayons de parler des choses avant qu'elles n'arrivent. Cinéaste, c’est peut-être ça : avoir un regard en avant.

Vous auriez pu faire autre chose ?

Oui... La vie est faite de rencontres, de chances. J’ai failli ne pas être réalisateur, par manque d’argent pour mes courts métrages. J’aurais fait de la photo, j’avais envie d’être reporter-photographe. Et il y a cette histoire du temps... Si l’on est fataliste ou pas. Je suis ceci aujourd’hui, peut-être serai-je autre chose demain, pêcheur à la ligne... Des accidents sont possibles. Je crois à l’imprévisible... Ma vie est vouée au cinéma, mais, pour une raison que je ne connais pas encore, je pourrais l’abandonner...

Ce n’est pas souhaitable...

Non, ce n’est pas souhaitable... (rires).

Merci à la rédaction de Ciné Live de nous avoir autorisés à diffuser cette interview