Filmographie / Presse

Ni pour, ni contre
Mars 2003 - AUTEUR : Pauline Guilmot

Avant d’en venir à Ni pour ni contre (bien au contraire), parlons de la place de la musique dans votre travail et du rôle de la bande originale dans votre filmographie. Tout d’abord… pourquoi tant de personnages pratiquent ou écoutent de la musique dans vos films ?

Parce que la musique fait partie de la vie. La musique est partout, elle a cette place très privilégiée parmi tous les arts : on peut partir pour travailler le matin en fredonnant une chanson, j’aime l’idée que la musique accompagne les gens dans leur quotidien. Ensuite, dans ma vie, j’ai toujours eu de l’affection d’une part pour les musiciens et d’autre part pour la musique. Si les personnages de mes films ont souvent un rapport à la musique,  c’est pour dire que la figure de l’artiste loin du monde et loin de la vie n’est pas mienne…Les musiciens chantent dans la rue et sont d’ailleurs peut-être plus présents qu’un réalisateur, qu’un peintre ou qu’un romancier. Sinon, en ce qui me concerne, j’ai toujours été un gros « écouteur » de musique parce que je n’en ai pas fait beaucoup dans ma vie…

Et c’est un regret ?

Ah oui, un énorme regret, un de mes plus gros : j’aimerais beaucoup savoir bien jouer d’un instrument. A 17 ans, j’ai joué de la clarinette pendant un an et demi mais je ne prenais pas de cours : j’ai été idiot car j’aurais adoré. Je m’étais dit que c’était trop tard. Alors, pendant qu’on y est, je passe un avertissement à tous les gens qui ont dix-sept ans, c’est le bon âge pour commencer, parce qu’après…on regrette. J’adorerais passer mes soirées une guitare à la main…Il y a une sorte de diktat qui veut que pour très bien jouer d’un instrument, on doit commencer à le pratiquer à partir de 5, 6 ans…Effectivement, si on veut devenir Mozart, on a tout intérêt à commencer à 3 ans, mais certaines personnes jouent merveilleusement bien d’un instrument en ayant commencé à 17 ans, puisque tout est lié au plaisir de la musique. Dans un pays comme l’Irlande, tout le monde sait jouer d’un instrument ! Quand j’ai travaillé avec Philippe Eidel sur Un air de famille ou avec Loïk Dury sur les trois derniers films, j’ai eu un plaisir intense de voir ces musiciens composer. D’ailleurs, je n’arrivais pas à les laisser travailler seuls (rires)  !

Comment travaillez-vous avec eux ? Avez-vous des idées très précises sur la musique que vous voulez entendre ?

Ça a été différent pour chacun des films. Avec Philippe Eidel, on n’a pas parlé de style musical, je lui ai juste parlé des artistes que j’avais contactés, Bashung, Michel Portal…Cela a donné des indications à Philippe sur l’univers sonore qu’il fallait trouver. Ensuite, c’est beaucoup en parlant du film. C’est vraiment lui qui a inventé cette espèce de style musical méditerranéen, ce thème qui revient dans le film… Ça peut être espagnol, juif, arabe… Cette musique est assez réussie dans son côté très métissé, très mélangé, qui porte surtout une idée de tristesse drôle et d’ironie. Ce thème principal m’avait épaté, j’ai d’ailleurs l’impression qu’une musique de film réussie, c’est une musique qui contient des images d’émotions ou des émotions en images. Sur Peut-être , j’avais besoin de quelque chose d’électro-acoustique et de moderne. Comme Loïk Dury est avant tout D.J, je me suis dit qu’il allait fabriquer plutôt une musique liée davantage à l’idée du sampling et du collage. Comme je suis quelqu’un de très éclectique dans mes goûts, je lui ai fait entendre des morceaux de musique classique, du Duke Ellington, du Bach, du rap, etc. A force de mélanger tout ça, il est arrivé au thème qu’on entend dans le générique du début. On y entend un accordéon à la Piaf mais aussi du reggae, du funk, de la techno : un mélange très réussi de genres musicaux qui se marient bien ensemble. Au départ, ce générique était une espèce de bouillie immonde ! C’est à force de travailler, qu’est arrivée une mélodie, qu’est apparu un équilibre de toutes sortes d’échos et de références. Dans L’Auberge espagnole, Loïk a aussi très bien utilisé l’espèce de confusion que j’avais dans ma tête. Il arrive toujours à fabriquer une seule chose à partir de toutes mes idées.

C’est curieux d’ailleurs la différence de sensations qu’on peut avoir quand on écoute vos BO seules, sans images et quand on les entend dans « l’enceinte » de vos films...

Oui j’imagine ! J’ai d’ailleurs tendance à incorporer aux BO des musiques qui sont sous-mixées, comme s’il s’agissait d’une petite radio qui passait en fond sonore dans le film. Par exemple dans L’Auberge espagnole, j’ai été très content qu’on mette certains morceaux en intégralité dans la BO, comme celui de Mala Rodriguez (La Cocinera), une musique que j’entendais beaucoup dans les magasins à Barcelone, que j’avais vraiment envie de mettre dans le film, mais qu’on y entend peu finalement. Cette musique contient « l’hispanicité » actuelle. C’était important qu’elle soit dans la BO.

Il y a aussi souvent, curieusement, des plages de musique classique, la valse de Rubinstein dans L’Auberge espagnole, pas forcément hispanique, puis Raimondi chantant Tosca dans Ni pour ni contre (bien au contraire), pourquoi ?

La valse, c’est le mouvement qui m’intéressait, quant à Tosca, c’est le côté violent, un peu rouge que je voulais utiliser…J’ai toujours mis du classique dans mes films, c’est une façon de dire que la musique classique n’est pas plus grande que les autres, il y a de grands morceaux de jazz, il y a de grands morceaux de variétés. J’essaye de contredire cette hiérarchie débile. Dans Ni pour ni contre (bien au contraire), il y a aussi du Chet Baker. Pour moi, Chet Baker n’est pas moins important que Bach ou que les Beatles.

Comment travaillez-vous sur le choix des musiques additionnelles… par exemple pour cette dernière BO, très riche ?

Loïk Dury a trouvé deux musiques additionnelles avec Jean Croc, un ami qui possède beaucoup de disques. Ils m’ont donné un CD avec cinq ou six morceaux, puis j’ai choisi : il s’agissait des deux séquences de danse du cabaret. Pour la première séquence, on a utilisé une musique de Cole Porter, qui colle véritablement aux images des danseuses à plumes. On cherchait ensuite, pour la deuxième séquence, une musique genre Saint-Preux, puis on s’est dit finalement qu’il valait mieux prendre directement du Saint-Preux. Croc et Dury ont trouvé une version du Concerto pour une voix faite dans les années 70 par un Brésilien, elle était plus « cheap » que la version originale. On l’a choisie bien évidemment avant le tournage puisqu’on en avait besoin au tournage. Mais la plupart des musiques sont composées par Loïk. La bande originale nous a pris six mois d’élaboration. On n’avait jamais mis autant de temps et je crois que ça se ressent…Les mélodies sont arrivées assez vite, puis on a peaufiné le mixage au fur et à mesure du travail.

Et pour le travail de composition, comment s’est fait le choix des atmosphères ?

Sur Ni pour ni contre (bien au contraire), on savait qu’il fallait une tonalité jazz et blues. J’avais pensé travailler avec Saint-Germain puis ça ne s’est pas fait, mais j’aimais bien cette mixité de la techno et du jazz. On avait cette image-là en tête avec Loïk, on savait aussi qu’il fallait éviter l’écueil du rap à cause de l’association rapide qui se fait souvent entre le film de gangsters et cette musique-là : c’était devenu trop « cliché »…On a quand même mis de la musique arabe, celle d’Hamza El Din.

Ça fait maintenant trois films que vous mettez en musique avec Loïk Dury, cette collaboration vous convient apparemment ?

Loïk me donne l’impression que j’ai quelque chose à dire musicalement. Ce sont des moments merveilleux pour moi. Le dialogue que j’ai avec lui, musicien, autrement dit quelqu’un travaillant dans un domaine que je ne connais absolument pas mais que j’apprécie énormément, compte beaucoup pour moi.

Vous assistez aux enregistrements ?

Dans la mesure où maintenant les enregistrements se font de façon ponctuelle, instrument par instrument quand les musiciens passent au studio, je passe aussi et donne mon mot à dire : on fait des essais, je demande à Loïk d’enlever du violoncelle quand il me semble qu’il y en a trop, etc. Il me dit quand c’est possible de changer ou quand ce n’est pas possible.

Vous faites changer beaucoup de choses ?

Quand je ne suis pas convaincu, j’essaie d’autres choses, mais Loïk a toujours raison finalement, ce qui est normal. Cependant, dans la musique du braquage pour Ni pour ni contre (bien au contraire), Loïk a conçu une musique qui fonctionnait très bien collée aux images, mais qui n’avait pas assez de construction narrative interne pour pouvoir être écouté sans elles. C’était compliqué, car il s’agit d’un morceau de quinze minutes avec un  montage-image bizarre imposé par la scène mais qui devait être un vrai long morceau de musique… Cela représenta donc une gymnastique compliquée mais aussi une discussion géniale entre nous !

Même dans vos courts-métrages, je pense au Poisson rouge, la musique a une grande importance…

Oui surtout pour Le poisson rouge que j’avais réalisé pour une campagne contre le Sida. Effectivement, j’ai rarement vu un tel impact de la musique…J’ai gardé les Breeders alors que je voulais mettre autre chose…j’ai bien fait ! Disons que le film ne marche que dans l’association qu’il y a entre Pierre et le loup de Prokofiev au début et les Breeders ensuite, entre la douce mélodie à la petite flûte et le rock un peu hardeux à la guitare électrique sur-saturée…Le film, sans cette opposition, n’aurait pas de sens.

Vous avez la spécificité de faire réagir vos personnages à la musique que nous entendons au premier plan… Je pense à Henri dans la scène finale d’ Un air de famille ou encore à Xavier et Isabelle dans une des chambres de L’Auberge espagnole…

Oui, Bacri avec Caruso et son juke-box, Cécile et Romain à Barcelone… Toujours mon idée : la musique fait partie de la vie…C’est instinctif, chez moi, chez les gens. Dans Le péril jeune, il y a une scène où un type essaie de jouer de la guitare avec la musique de Ten years after  : il s’agit toujours de ce rapport à la musique qu’on écoute et qu’on voudrait savoir jouer. Comme le personnage qui finit par poser sa guitare et dit « moi, je ne jouerai jamais comme ça », j’ai fini par poser la clarinette. (rires)

Pourquoi aviez-vous choisi la clarinette d’ailleurs ?

Ah... parce que j’aimais beaucoup le jazz à l’époque, surtout le jazz « Nouvelle Orléans ». Puis j’avais un copain qui jouait de la clarinette, il me l’a donné, et ça s’est fait comme ça.

Vous étiez très jazz, et maintenant, vous êtes très… quoi ?

J’écoute tout, absolument tout. D’ailleurs, ça peut-être n’importe quoi…« franchement n’importe quoi » (rires). Pour L’Auberge espagnole, j’ai écouté beaucoup des fanfares de corridas, je m’en suis acheté dix disques …Un autre moment, ça va être plutôt du rock, de la variété, du jazz, du blues, du rap…Je n’ai aucune frontière et c’est d’ailleurs au niveau de la musique que je suis le plus éclectique. Je peux aimer des choses extrêmement différentes, ce qui n’est ni le cas en peinture ou en littérature !

Vous faites écouter à vos acteurs la musique sur laquelle ils vont tourner ?

Ça dépend, pour L’Auberge espagnole par exemple, pour la musique de Daft Punk, Aerodynamic, je ne savais même pas si j’allais pouvoir l’utiliser. Lors du tournage de la séquence où ils sortent dans la rue complètement saouls, on écoutait la musique avant le tournage proprement dit, et cette musique leur donnait la pêche…Quand une musique est réussie, il y a quelque chose de surnaturel, de sublime. Dans Peut-être, j’ai fait jouer des scènes avec la musique du film…Ça met forcément une ambiance. Puis, plus on donne d’indications à un acteur, mieux ça marche. Je crois que sur Ni pour ni contre (bien au contraire), j’ai fait entendre à Simon Abkarian « Mwashah » de Hamza El Din, en disant : « J’aimerais bien que ce soit la musique qui passe dans le kebab ». En plus, c’est le genre de musique qu’il écoute : ça lui donnait une indication sur son personnage et la tristesse profonde qui le caractérise...

Les morceaux de la BO de ce dernier film sont tous émouvants. Est-ce parce qu’il fallait que la musique « aide » le film, adoucisse un peu le propos, la violence de ces voyous ?

Tout à fait…Bien sûr, l’humanité du film est aussi dans la musique. Il y a deux grandes voies possibles dans le rapport image-musique : soit on va avec les images, soit on va contre. En d’autres termes, on choisit soit l’harmonie, soit le contrepoint. Parfois il fallait durcir l’image, parfois il fallait l’adoucir : la musique est extraordinaire pour exprimer la tension ou l’insouciance. Elle a aussi un pouvoir profond sur la tension et l’attention du spectateur !

C’est effectivement magistralement réussi… Vous avez d’autres projets ?

Oh non, heureusement. Là, j’ai eu deux années difficiles avec L’Auberge espagnole et Ni pour ni contre (bien au contraire). J’ai très envie de m’arrêter un peu, de me ressourcer, de lire, de penser à autre chose avant de réécrire quoique ce soit…et puis…j’ai besoin d’écouter des disques ! (rires)

Lien : Ojectif Cinema
Merci à Pauline Guilmot.